Gautier Capuçon, Klaus Mäkelä

Dans cette œuvre tout en intensité et même en tension méditative, il faut au violoncelliste savoir déployer à la fois la vigueur généreuse de timbres puissants et contrastés, et l’intériorité tout en métaphores d’une élévation éprouvée, une verticalité qui regarde vers le « Très-Haut ». Et dans ce registre, dans cette richesse même (qui explique l’engouement de bien des violoncellistes), Gautier Capuçon n’a pas son pareil pour plonger dans les graves à la fois onctueux, gutturaux et solennels de son son violoncelle de 1701 (un Matteo Goffriller nommé « L’Ambassadeur »), et pour saisir chaque spectateur dans un bouillonnement péremptoire où l’intensité musicale est une narration.

On sait, on sent, on comprend, quand on est engagé dans un concert de cet acabit, qu’on assiste à une chose grande et importante. Klaus Mäkelä, 26 ans, plus jeune directeur musical de l’histoire de l’orchestre de Paris, chef de l’orchestre d’Oslo et avec qui le Concergebouw d’Amsterdam vient de signer, est bien ce prodige de la direction d’orchestre qu’on dit. Mais on aurait presque honte de le répéter, car il est question ici d’un accomplissement musical qui va bien au-delà du prodige. Pour celui qui vient de signer au disque sans doute la plus belle intégrale des symphonies de Sibelius avec celle de Karajan, la direction est bien ce sacerdoce qu’on admire quand il est exercé avec une telle intensité par un si jeune musicien. Et il l’avait déjà illustré dans la première partie du concert, ces « Jeux » de Debussy (1912, au moment de la rencontre du compositeur avec les Ballets russes et Serge de Diaghilev), pièce attacchante là encore en atmosphères nocturnes, jeux de jeunesse et de séduction.

Mais devant les rappels prononcés de Gautier Capuçon après « Schelomo », personne ne pouvait se douter du cadeau offert au public, de la part de celui qui est tout autant chef que lui-même violoncelliste de premier ordre, car oui, Klaus Mäkelä est bien les deux à la fois. Et ce fut, avec Gautier Capuçon, le dernier mouvement d’une sonate pour deux violoncelles de Jean-Baptiste Barrière – ici par Thomas & Patrick Demenga :

Magnifique, et moment privilégié pour le public de la Philharmonie. Applaudissements nourris, belle fraternité et harmonie palpable entre deux musiciens exceptionnels. En deuxième partie de programme, « L’Oiseau de feu » de Stravinski, porté à son pinacle par Klaus Mäkelä et un orchestre de Paris magnifié : des cordes superlatives, des cuivres et des bois inspirées et dynamiques (un bassoniste simplement incroyable), le tout entraîné par la précision de la battue de Mäkelä, et son sens si marqué de coloriste. Les ondulations moirées de l’oiseau, la fureur de Kachtcheï, l’héroïsme d’Ivan : tout y est, grâce à une gamme de couleurs orchestrales où on admire la mise en place effectuée par le jeune chef, qui ne laisse rien au hasard, dans le liant sonore des sections et de l’ensemble. On sait qu’on est là devant l’une des versions majeures de ce chef-d’œuvre de jeunesse (1910) qui va propulser Stravinski au-devant d’une notoriété fulgurante, elle aussi inséparable de l’aventure des Ballets russes, notoriété première qui prépare la véritable révolution du Sacre du printemps, trois ans après en 1913 au Théâtre des Champs-Élysées. Ci-dessous, L’Oiseau de feu par le Philharmonique de Radio-France dirigé par Mikko Franck en 2019. Et grâce à cette science rare du relief qui marque le savoir-faire de Klaus Mäkelä, on est plus à même de contester cette fréquente dichotomie qu’on induit entre L’Oiseau de feu d’une part et Petrouchka (1911) et Le Sacre d’autre part. Car ici, cette marque si puissante du rythme percussif païen qui bien sûr va exploser dans le Sacre, est déjà en germe, allié aux ondoiements mélodiques que l’on sait. L’explosion finale extatique s’il en est fut ici incarné par un orchestre de Paris si brillamment mené par un jeune chef dans lequel le public parisien sait reconnaître le magistère d’un renouveau, depuis sa nomination et à chacun de ses concerts. Une chance qu’on n’a pas encore fini de mesurer.