Il y a 44 ans : le Concerto pour violon de Beethoven par Perlman et Giulini
Par
BEETHOVEN Concerto pour violon en ré majeur op. 61 | Itzhak Perlman
Philharmonia Orchestra, dir. : Carlo Maria Giulini | EMI Classics, 1981

Il y a quarante quatre ans de cela, paraissait l’enregistrement du Concerto pour violon op. 61 de Beethoven par Itzhak Perlman et le Philharmonia Orchestra sous la direction de Carlo Maria Giulini. Il s’agit, selon moi, de l’une des trois versions de référence de ce concerto qui est sans doute le sommet du répertoire violonistique avec les Sonates et Partitas de Bach. Les deux autres grandes versions demeurent, toujours selon moi : l’enregistrement réalisé en 1959 par David Oistrakh avec l’Orchestre de la Radiodiffusion française (ancêtre de l’ONF) sous la direction d’André Cluytens, et la version de Christian Ferras enregistrée en 1967 avec le Philharmonique de Berlin sous la direction de Karajan. Mais seule la version de Perlman de 1981 (à préférer à mon avis à celle qu’il a enregistrée en 1989 avec le Philharmonique de Berlin dirigé par Daniel Barenboim, version excellente néanmoins) parvient à mes yeux à allier à la fois une maîtrise technique impeccable, à une puissance expressive savamment dosée, vecteur de l’intensité émotionnelle caractéristique de cette merveille de concerto. Je souligne encore une fois que j’exprime là mon approche personnelle, en avouant une admiration sans doute démesurée pour Itzhak Perlman, qui fut toujours ma référence (avec Oistrakh) dans ma pratique du violon. Ce « quelque chose » d’inexplicable, ce plus indéniable, ce supplément concret, proviennent sans aucun doute de l’extrême minutie de l’énonciation, du phrasé mais aussi du timbre inimitable d’Itzhak Perlman, dans ce concerto qui à mes yeux est le sommet du corpus concertant pour violon. La règle y demeure de bout en bout, une expressivité où l’instrumentiste doit savoir intimement ce qu’il exprime selon moi : ce concerto fait appel à une intelligence spécifiquement « beethovénienne », une ipséité du corps vivant de cette écriture qui concerne l’épanchement (on l’a dit pour le Larghetto) mais surtout la substance de cette métaphysique de la lutte, qui se décline dans l’Allegro initial. Non pas simplement sommet des concertos pour violon, mais à mes yeux l’un des sommets absolus de la musique. Avec la Passion selon Saint Matthieu et la Messe en si de Bach, ce concerto est dans son contenu, l’une des pages qui font l’honneur et la puissance de la musique en tant que telle. Jamais il ne sera possible d’en pénétrer le mystère, ce qui importe selon moi c’est d’abord d’y distinguer l’un des sommets incontestables de l’art de Beethoven, et ensuite de pouvoir se fier à un violoniste qui aura su se rendre disponible au rendez-vous d’une méditation et d’une force, à la jonction en somme de ces deux pôles. Avant Perlman, seuls Oistrakh et Ferras avaient su enregistrer des versions dignes de cet alliage si rare. Et puis vient Perlman qui en 1981 avec l’extrême tension du Philharmonia Orchestra mené par Carlo Maria Giulini (cette sorte de resserrement dans l’expression de l’orchestre, sous le regard « spiritualiste » inimitable du chef italien), a livré à la postérité le modèle même où plus rien ne pourra être ajouté. On pourra encore enregistrer ce concerto, jamais en revanche on ne sera capable de cette intime alliance des prodiges, intelligence comblée et sensibilité portée à quintessence.
Et la version de 1989 avec le Philharmonique de Berlin dirigé par Barenboim :
Itzhak Perlman est paraplégique. Il a contracté la poliomyélite à quatre ans en Israël et c’est grâce à la bienveillance de ses parents, de Dorothy Delay à la Juilliard School de New York qu’il a pu suivre sa formation de musicien, au milieu de ses pairs. Perlman s’est toujours battu pour l’inclusion maximale des handicapés, et l’accessibilité des lieux de culture aux handicapés moteurs.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ces deux documentaires de référence à propos du parcours d’Itzhak Perlman, j’en indique ici les liens :
- Itzhak Perlman, virtuoso violonist. « I know I played every note » de Christopher Nupen, 1978
- Itzhak, Alison Chernick, 2017 :
Pour en revenir au phénoménal enregistrement du Concerto de Beethoven de 1981, le musicologue américain David Hurwitz lui avait consacré en 2024 une excellente recension sur sa chaîne YouTube « The Ultimate Classical Music Guide » (ci-contre). Il y souligne le prodige en quoi a consisté cette rencontre au sommet entre le chef réputé pour ses approches spiritualistes des répertoires symphonique et concernant, et le virtuose réputé pour ses interprétations brillantes voire étincelantes en matière de timbre. Il y évoque par ailleurs l’intelligence maximale de cette version, scrupuleuse dans l’attention au détails de la partition. Un degré de précision de l’énonciation elle-même sans doute jamais égalée depuis, ni même avant, du reste. Ce qui en fait, à mes yeux, la plus grande version du Concerto de Beethoven, avec celle d’Oistrakh, je le répète.

Le poète considérable qu’est Jean-Denis Bonan nous propose donc ici un somptueux texte inédit, en hommage à l’interprétation du Concerto pour violon de Beethoven par Itzhak Perlman avec l’orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Daniel Barenboim. Un immense merci à Jean-Denis Bonan pour ce texte magnifique, qui contient des mots essentiels à propos de ce concerto inégalable. Un cadeau pour tous les Beethovéniens en particulier.
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