Ici, la Chaconne, aussi bouleversante et profonde qu’impressionnante de fluidité est liée à une lecture de toute la première partie des Sonates et Partitas comme étant liée à la mort de Maria Barbara, la première épouse de Bach, l’année même de la composition des œuvres. Christian Tetzlaff écrit : « Selon moi, le contenu de la Chaconne est celui d’une lamentation funéraire – ou la peur de la mort ou, dans certains passages, une aspiration à la mort. Je crois qu’il ne peut être écarté d’emblée qu’un cycle conclu par Bach en 1720 puisse contenir une épitaphe pour sa première épouse Maria Barbara, décédée cette année-là. Selon de nombreux documents que nous connaissons, leur mariage, qui, comme nous le savons, a produit des enfants remarquables, a dû reposer sur une relation très étroite. En ce temps, Bach rentrait chez lui après un très court voyage professionnel pour apprendre que sa femme gisait déjà dans sa tombe. Cela a très certainement ouvert des blessures profondes. »

Voici (à gauche) la Chaconne par le violoniste, dans sa version de 2017. Christian Tetzlaff est de ceux qui savent se retirer derrière la priorité d’une exécution qui se caractérise par une très grande introspection ainsi qu’une certaine sobriété. Une économie de moyens qui n’obère pourtant pas l’accentuation de certains traits expressifs. À l’exemple de cette Fugue de la Sonate N° 1 (à droite)  : 

Les trois versions enregistrées par Christian Tezlaff (1994, 2006 et 2017) sont caractérisées par un rejet des effets inutiles et le respect du texte dans ses moindres aspects et dans les moindres recoins des partitions. Un respect qui, on l’a vu et comme il l’a expliqué, a su se défaire des conventions inutiles, en visant une épure qui par ailleurs est marquée dans la version de 2017, par une lecture très spiritualiste de ces pièces, qui leur convient fondamentalement. Christian Tetzlaff voit dans ce vaste cycle l’office d’une prière et de préoccupations métaphysiques qui conviennent par excellence à ce que représentait le violon pour Bach, instrument proche et sensible, davantage que le clavier où domine l’aspect réflexif du contrepoint :

« Le contenu émotionnel de ce cycle est également se reflète également dans le choix de l’instrument : par son propre son, le violon est un instrument un peu plus personnel que le clavecin. Il est un peu plus malléable, sensible, plus petit, peut sembler complètement perdu, mais peut aussi s’ouvrir assez puissamment. Pour moi, l’idée peut être émise que cette musique constitue le petit livre de prières personnel de Bach. Et le violon convient très bien à cela.

Et quelque chose d’autre est remarquable : sur la page de titre Bach a écrit « Sei Solo », qui se traduit normalement par « Six Solos pour violon ». Mais son italien n’était certainement pas si mauvais qu’il ne savait pas que l’œuvre aurait dû alors s’intituler « Sei Soli ». Mais le titre se lit « Sei Solo » qui, traduit littéralement, signifie « Tu es seul ». C’est sûrement là un concept. Peut-être que cela me conforte dans la théorie selon laquelle, dans cet ouvrage, il évoque la mort de sa femme et se dit : Tu es maintenant seul. »