Niccolò Paganini, portrait anonyme, école anglaise (1820)

De rééditions en rééditions, l’enregistrement de Perlman de 1972 est demeuré dans la discographie, une sorte de référence mythique. À tel point qu’il fut même difficile pendant longtemps pour les violonistes ultérieurs (et a fortiori pour les jeunes générations d’après les années 70), de s’attaquer au massif virtuose sans que dans une certaine mesure, la comparaison soit faite avec cette référence. Tout, dans l’énonciation, le phrasé et le timbre si caractéristiques d’Itzhak Perlman, semble avoir marqué pour longtemps l’interprétation de ces morceaux de bravoure dont l’intime musicalité devait être trouvée et telle que justement, elle semble avoir été trouvé en 1972, comme « le lieu et la formule » de leur quintessence, pour reprendre l’expression de Rimbaud. Dans la carrière si brillante de Perlman, il n’est guère que son interprétation du Concerto pour violon de Beethoven (avec Giulini à la tête du Philharmonia en 1981) qui ait à ce point marqué l’histoire.

Il n’y a pas si longtemps, Deutsche Grammophon sortait la très utile compilation des enregistrements Paganini réalisés par le violoniste Salvatore Accardo dans les années 70 et 80. Une somme Paganini, qu’il est loisible de retrouver en digipack, même si on a déjà la plupart de ces enregistrements séparés, et pour être sûr de ne pas manquer les raretés de cette intégrale. Il est temps qu’on sache reconnaître en Salvatore Accardo indéniablement l’un des plus grands violonistes du XXe siècle. Il est incontestablement le vrai spécialiste de Paganini. Et même si son interprétation des Caprices n’égale ni celle de Perlman ni celle de Shlomo Mintz, Accardo a su mieux que quiconque immortaliser les concertos du diabolique maître du violon virtuose, servi qui plus est par un orchestre philharmonique de Londres dirigé si intelligemment par Charles Dutoit.

Ces enregistrements sont un ravissement de précision et bien sûr de virtuosité aussi époustouflante que maîtrisée. Et pour ceux (nombreux) qui ne parviennent pas à reconnaître l’intelligence simplement musicale de Paganini en dehors de la virtuosité violonistique, cette véritable somme saura montrer combien, certes autour du violon comme pivot de l’écriture, ses partitions ne sont pas uniquement des supports servant à faire briller l’instrument : il se dégage notamment des six concertos une sorte de brio romantique remarquable en soi. Et même si l’orchestre demeure un faire-valoir du soliste (en réalité, pas plus que chez le Chopin des concertos pour piano), cette musique conçue autour de l’instrument recèle une beauté farouche qui va droit à qui l’écoute, le saisissant entre quatre cordes, une « âme » en bois et les crins d’un archet. Il s’agit d’une musique essentielle, conçue PAR et POUR le violon : la nuance est là. Salvatore Accardo et Charles Dutoit excellent dans la transmission limpide de cet art violonistique, en conférant à chacune des pièces son caractère propre. Une merveille. Ci-dessous, à gauche, le concerto N° 1 et à droite, l’allegro du concerto N° 4.