De la philosophie antique à la neuroscience : histoire et perspectives de la musicothérapie
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À travers les âges, l’expérience humaine a permis d’établir une corrélation entre musique et guérison, tant physique que mentale. En réalité, cette thérapie dans toute l’étendue que peut revêtir ce terme est loin d’être une pratique nouvelle. Dans l’Antiquité grecque, Pythagore considérait déjà les intervalles musicaux comme des manifestations de l’harmonie cosmique, susceptibles de rétablir l’équilibre intérieur de l’être humain. Platon, dans La République, recommandait certains modes pour former l’âme des citoyens, tandis qu’Aristote, dans sa Politique, évoquait les effets purificateurs (cathartiques) de la musique sur les émotions. Cette idée s’est perpétuée à travers les siècles. Dans l’Empire byzantin, la musique faisait partie intégrante des soins dans les hôpitaux, notamment à Constantinople. Plus tard, dans le monde arabo-islamique médiéval, des figures comme Al-Farabi (Xe siècle) et Avicenne (Ibn Sina, XIe siècle) ont approfondi cette approche. Al-Farabi, philosophe et théoricien de la musique, consacra une part de son Grand Traité de la Musique aux effets psychiques des modes de la musique levantine (dit maqamat). Quant à Avicenne, il évoquait dans son Canon de la médecine l’usage de la musique pour calmer l’angoisse ou traiter certaines maladies pyschiatriques.
« La musicothérapie, autrement dit l’art de soigner – et de rééduquer – en recourant à la musique, a connu son stade initial, que je dénomme “musicothérapie modale”, avec les Grecs de l’Antiquité et les Arabes du Moyen-Âge, qui sollicitaient l’éthos (teneur et effet émotionnels) des modes mélodiques des compositions écoutées pour induire des états d’extase et de transe chez les patients », nous explique le professeur Nidaa Abou Mrad, doyen de la faculté de musique et musicologie de l’Université Antonine. Cette pratique leur permettait, selon le musicologue, de se libérer de leurs maux – ce qui correspond au principe même de la catharsis – ou de contrecarrer leurs « humeurs excessives » pathogènes, selon la théorie humorale attribuée à Hippocrate.
L’essor occidental de la musicothérapie
« La musicothérapie a connu son deuxième stade à partir du milieu du XXe siècle, en Occident, où des psychologues et des acousticiens ont d’abord voulu exploiter les vertus relaxantes et sédatives (réduisant l’angoisse et la douleur) de l’écoute musicale en “musicothérapie (dite) fonctionnelle” », poursuit le professeur Abou Mrad, lui-même docteur en médecine et initiateur de la formation en musicothérapie à l’Université Antonine. Il précise, en outre, que ce sont les psychologues d’obédience freudienne qui ont ensuite voulu exploiter les vertus communicationnelles de la musique, inhérentes au paradigme psychanalytique, en « musicothérapie réceptive » (reposant sur l’écoute musicale du patient) et en « musicothérapie active » (reposant sur la pratique musicale du patient). Et ce, en mettant l’accent sur la relation thérapeutique, initiée par la musique, entre patient et thérapeute. Au fil des décennies, ces approches se sont affinées à la lumière des découvertes en neurosciences. Les recherches modernes ont, en effet, démontré que la musique possède une capacité unique à susciter, amplifier ou atténuer les émotions humaines, en exerçant une influence mesurable sur l’organisme. L’écoute musicale peut ainsi affecter le rythme cardiaque, la pression artérielle, le rythme respiratoire, et activer des structures cérébrales clés dans la gestion des émotions, telles que l’amygdale, l’hypothalamus, le cortex insulaire ou encore le cortex orbitofrontal. Certaines études ont par exemple montré que le rythme cardiaque et la respiration s’accélèrent au contact de musiques stimulantes, alors qu’ils se ralentissent avec des compositions apaisantes. Ces réponses physiologiques mettent en lumière le pouvoir de la musique comme vecteur d’équilibre psychocorporel.
Vers une approche intégrative
Le stade le plus récent de cette discipline est celui de la neuro-musicothérapie (NMT). Prise dans son acception restreinte, la NMT s’adresse aux patients souffrant de troubles cognitifs, sensoriels ou moteurs d’origine neurologique. Elle contribue à la réhabilitation des personnes atteintes de lésions (comme les accidents vasculaires cérébraux) ou de dégénérescence cérébrales (comme la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer), de trouble du spectre de l’autisme ou d’autres troubles cognitifs. « Prise dans une acception plus large, celle que je propose à la communauté scientifique, la NMT marque l’émergence du paradigme neuroscientifique en musicothérapie, celle-ci s’ouvrant à la neurologie et la neuropsychologie cognitive de la musique, non seulement pour rééduquer les patients atteints de pathologies neurologiques, mais également pour mettre à profit les approches neuroscientifiques de la musique, centrées sur les effets de celle-ci, dans des situations thérapeutiques », souligne l’expert. Et le professeur Abou Mrad de conclure : « Le stade en cours d’élaboration de cette discipline est celui de la “musicothérapie intégrative” qui, selon François-Xavier Vrait, président fondateur de la Fédération française de musicothérapie, projette d’intégrer les modèles précités pour mieux servir le patient. »
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