Jeanine Roze © Michel Franck

Autant dire que ce concert fut une grande fête, de part en part. Bertrand Chamayou en maître de cérémonie, excellait à présenter ce programme préparé au secret, dévoilé le jour même, et surtout, tenu dans la confidentialité vis-à-vis de Jeanine Roze elle-même, pour qui ce fut donc une surprise, au même titre que pour le public. Chamayou devait justement l’inaugurer, par le premier mouvement de la Sonatine M 40 de Ravel, enchaînant avec Roger Muraro livrant des Goyescas de Granados habitées. Ce concert en guise d’hommage ne pouvait présenter meilleur salut à celle qui a tant mis en avant les jeunes générations de musiciens, qu’en mélangeant ainsi les générations justement : Christian Ivaldi et Jean-Claude Pennetier dans Schubert (premier mouvement de la Sonate D 617), mais aussi Victor Julien-Laferrière et Adam Laloum dans les Fantasiestücke de Schumann. Le Trio Wanderer touchait le public au cœur – déjà dans un bis d’il y a quelques moins lors d’une programmation Beethoven – avec l’Andante du Trio n° 2 de Schubert, et son temps mis en suspens. Sans conteste, l’autre grand moment suspendu, le sommet à vrai dire, la quintessence de ce concert d’hommage aura été l’extraordinaire transcription par Wilhelm Kempf du Menuet HWV 434 de Haendel, livrée avec à la fois émotion contenue et ascèse transcendante par l’incomparable Anne Queffélec. Suivaient des choses intéressantes comme l’intervention drolatique de François Morel sur un texte de Raymond Devos, mais c’est à la musique et à la gratitude encore que revenait le dernier mot, avec une version arrangée de La Baigneuse de Trouville de Poulenc par Bertrand Chamayou, accompagné par les dessins numérisés de Grégoire Pont.

Le programme de ce concert était à l’avenant de l’émotion qui l’accompagnait, et s’ouvrait sur l’album de quelques-unes des nombreuses images de ces 50 ans de passion et d’abnégation pour la musique.

L’émotion du public, l’expression vive et sans détour de sa reconnaissance à Jeanine Roze, en disent long sur un moment unique, et dont il faut savoir aussi tirer les enseignements. Car aujourd’hui, à l’heure des impresari et des programmateurs de tournées et de salles, c’est à la fois l’esprit et l’ambiance qui ont changé, et qui n’ont même aucun rapport avec le métier de passion qu’a su exercer Jeanine Roze. À son époque, dans son sillage et uniquement par sa volonté – plusieurs des participants à cette matinée l’ont rappelé -, les Concerts du dimanche matin étaient accompagnés par exemple d’ateliers réservés aux enfants ; les actions sociales étaient courantes envers les plus démunis ; la continuité d’un prix modique pour les places attestait encore de cette veine sociale prononcée. La recette de ce dernier concert, après 50 ans de sacerdoce, allait encore vers les Petits Frères des Pauvres. Jamais Jeanine Roze, productrice, n’aura abandonné sa vocation de la « culture pour tous » qui inspirait déjà ses grands modèles, Vitez et Barrault. Cette femme de culture appartient à cette génération des visionnaires, qui demande aujourd’hui surtout à être relayée par une reprise de flambeau. Car ce sacerdoce, d’action et de réalisations, est avant tout un état d’esprit, un sacerdoce de conscience qui concerne la place de la musique et de la culture dans nos vies, dans la société et dans le monde. On ne peut que souhaiter que le modèle de Jeanine Roze puisse inspirer à nouveau, concrètement et dans l’exigence : ce sera là certainement le plus fervent hommage qu’on puisse rendre à son action.