Ci-dessus, le trailer de l’enregistrement, avec interviews de Leif Ove Andsnes et Grete Pedersen ; à droite, l’introduction de la version avec chœur de Via Crucis [pour l’intégralité des 14 autres parties, voir le lien-répertoire sur YouTube]

L’intention « pédagogique » et musicologique du pianiste est manifeste dans cet enregistrement décidément très intelligent, quand en une sorte de deuxième partie du cd, deux œuvres de Liszt sont livrées, de cette époque qu’on pourrait dire séculière, pour la différencier de l’époque religieuse. Et plus encore, cette intention est d’autant plus importante qu’ici, on a affaire justement à ces œuvres qui en quelque façon, vont jouer dans l’itinéraire compositionnel de Liszt, la fonction d’une transition vers la première période à la deuxième époque, religieuse.

Les Consolations (six poèmes poétiques) S 172, dont la composition date de 1849-1850 (une première version est antérieure, de 1844-1849, S171a, sont inspirées par un recueil poétique de Saint-Beuve de 1830, Les Consolations, vantant les vertus de l’attachement humain comme remède à l’effacement de la foi religieuse. L’inspiration qui s’insinue là explore l’alternative du lien humain comme relais à la foi, et traite en tout cas de l’articulation entre le religieux et la vie humaine. Leif Ove Andsnes y témoigne de cette délicatesse infinie des nuances et du toucher qu’on lui connaît et qui, pour ces pièces tout en épanchement intimiste, touche au sublime. La Consolation n° 3 en ré bémol majeur, « Lento placido », la plus célèbre des six, fait battre le cœur de ce registre de l’altérité, en une réflexion qui pour une fois n’est pas attachée au sentiment amoureux, mais à tout attachement humain comme reflet inversé du sentiment religieux. L’univers de ces Consolations est bien celui d’une douceur, d’une sérénité qui tendent à faire écho à la bienveillance de l’attachement. Les moyens dont dispose le pianiste, jusqu’à l’expression de la passion et de l’agapè, touchent le registre de la légèreté signifiante des piano ou de l’éloquences des forte, alternés à la faveur de phrases infiniment pudiques. Les vrais spécialistes de Liszt savent y recourir à la retenue des impulsions et à leurs savants équilibres – ceux qui rappellent aussi Chopin, dont Leif Ove Andsnes est par ailleurs un brillant interprète.

n° 1 en mi majeur, Andante con moto
n° 2 en mi majeur, Un poco più mosso
n° 3 en ré bémol majeur, Lento placido
n° 4 en ré bémol majeur, Quasi adagio
n° 5 en mi majeur, Andantino
n° 6 en mi majeur, Allegretto sempre cantabile

Les Harmonies poétiques et religieuses (S 173, composées entre 1948 et 1953) ne sont hélas pas présentées ici dans leur version intégrale : seule deux s’entre elles sont données, n° 8 et 9. Ces œuvres aussi finement ciselées que les Consolations représentent une gradation encore plus avancée vers la sphère religieuse, puisqu’elle sont inspirées du recueil éponyme de Lamartine, recueil éminemment contemplatif au sens d’un rapport transcendé à la nature, le regard tourné vers Dieu. L’Andante lagrimoso (n° 9) est d’abord donné et dit bien, sous les doigts de Leif Ove Andsnes, une élévation qui est un recueillement. Le Largo qui s’inspire d’un Miserere de Palestrina, arpente avec solennité la tension de cette foi qui pendra bientôt la place cardinale dans une psyché créatrice envahie et occupée par le sentiment du divin. Que le grand pianiste norvégien ait pu nous guider dans cette transition restera incontestablement comme l’u des moments forts de sa discographie.

n° 9 Andante lagrimoso
n° 8 Miserere, d’après Palestrina. Largo