Le Consort : de gauche à droite, Théotime Langlois de Swarte, Hanna Salzenstein, Justin Taylor, Sophie de Bardonnèche © Julien Benhamou

C’est dire combien ce concert tenait lieu de rendez-vous essentiel, par le truchement du plaisir continuel à écouter ces musiciens au talent exceptionnel, à la générosité ample et à l’enthousiasme continuel. C’est dire aussi, par conséquent, que ce fut un moment important, de musique et dans la temporalité d’une formation qui brille aujourd’hui depuis une décennie qui en tout point fut effectivement une décennie enchantée ; une pierre blanche et un repère dans un parcours exceptionnel que toujours je louerai, pour ma part, et dont je ne me lasserai jamais de souligner l’excellence.

On l’aura compris, ce concert avait les allures d’un bilan d’étape pour ces musiciens aujourd’hui jeunes trentenaires, qu’on a appris à connaître au début de leur vingtaine lorsque donc, frais émoulus des classes d’instruments et de jeu baroque du CNSM, ils avaient décidé, dans le sillage de l’initiative de Théotime Langlois de Swarte et Justin Taylor, de fonder une nouvelle formation dédiée à un renouvellement des approches « baroqueuses ». Les Fab Four de la musique baroque de la scène française démarraient alors leur parcours, avec un parti pris provenant de leurs études du répertoire, celui de défendre en particulier le genre de la sonate en trio, ce modèle phare de la musique baroque qui au tournant du XVIIe siècle, consacre un riche répertoire organisé autour de deux lignes mélodiques sur ligne de basse continue – le genre se prêtant en soi à une variété prononcée de formations potentielles. Le Consort s’attachera désormais à illustrer la richesse de ce genre, menant ladite variété à foisonnement, en concerts et dans les enregistrements. En dix ans, c’est en effet une densité toute particulière qui s’est manifestée autour de l’activité de cette formation boulimique de musique, à en juger par une discographie fournie et qui ne cesse de s’enrichir. Et ce dynamisme tout particulier a pu être remarqué dès le départ de l’activité de la formation, qui se voit vite distinguée par les institutions de la vie baroqueuse en France, et en particulier par le Festival de Royaumont qui les accueille en résidence, ou encore par le Premier Prix et le Prix du Public du Concours international de Musique ancienne du Val de Loire sous la présidence de William Christie. C’est dire combien la notoriété de l’ensemble se construit dès lors par cette réputation d’excellence et d’un travail de fond effectué autour des nouvelles voies encore inexplorées du répertoire baroque.

Courte vidéo consacrée au Consort, par le Festival de Royaumont lors de la résidence de l’ensemble en 2021. Description interne : « Le Consort, ensemble de musique de chambre unique en son genre, réunit quatre jeunes musiciens qui interprètent avec enthousiasme, sincérité et modernité le répertoire de la sonate en trio. De Corelli à Vivaldi, de Purcell à Couperin, le dialogue entre les deux violons et la basse continue déploie une richesse de contrastes entre vocalité, sensualité et virtuosité. Le Consort s’empare de ce genre, quintessence de la musique de chambre baroque, et l’interprète avec un langage personnel, dynamique et coloré. »

Incontestablement, Le Consort remet à nouveau la barre très haut, dans le contexte de la musique baroque, et on salue unanimement ce nouvel élan incarné par ces quatre-là, qui renouent à peu de choses près, avec l’attitude et l’enthousiasme de leurs grands aînés qui furent avant tout des défricheurs. On ne s’étonnera donc pas que dès lors la formation devienne l’une des plus demandées des circuits renommés du baroque qui, dans le sillage de Royaumont, contribuent à valoriser ce souffle nouveau (des Festivals de Wallonie en 2021 à l’Opéra Orchestre National de Montpellier Occitanie en 2024, en passant par toutes les grandes scènes classiques françaises et internationales). Une renommée rapide et amplement méritée, et en tout cas à proportion d’un travail de fond qui se vérifie d’année en année, d’enregistrements en nouveaux projets, dans la continuité d’un engagement authentique que ressentent les publics au sens large, et pas seulement le cercle captif des amateurs de musique baroque.

Le programme du concert de Gaveau était à l’image de ce foisonnement, et les musiciens avaient choisi d’entraîner le public dans une sorte de panorama aussi dense qu’intelligent, retraçant finalement les grandes lignes d’évolution de l’écriture instrumentale (mais aussi des genres opératiques) d’un baroque incarné par ses différentes déclinaisons nationales, de la primauté italienne des inventions de Corelli puis Vivaldi, vers l’identité anglaise mêlée au souffle italien avec Haendel et un Purcell soucieux de syncrétisme, en passant par les résistances du bon goût français épris de cartésianisme et de retenue, mais qui s’ouvre néanmoins aux vents extérieurs par Couperin et ce Jean-François Dandrieu qui fit la prime signature des découvertes du Consort. Ce programme donc (premier à être presque complet dans leurs concerts toujours si touffus, plaisantait Justin Taylor) était à l’aune de cette diversité elle-même si pédagogique. Et à l’image, aussi, de ce goût de la découverte, à la faveur duquel on croisait, à côté des Vivaldi, Corelli, Haendel, Nicola Matteis, Giuseppe Maria Dall’Abaco, Michel Pignolet de Montéclair ou encore Marco Uccelini ou Louis-Antoine Lefebvre. C’est dire le tournoiement et les déploiements d’un baroque instrumental qu’on croyait connaître et qui là, se révèle dans son extrême diversité et sa richesse inépuisable. Sophie de Bardonnèche, entretien donné pour le programme : « Depuis le début, la sonate en trio est au centre de notre vie musicale. C’est une forme d’une simplicité presque déconcertante : deux voix qui dialoguent au-dessus d’une basse continue. Mais derrière cette apparente évidence se cache un monde infini de possibilités. Nous aimons cette musique parce qu’elle demande une forme d’humilité. Rien n’y est spectaculaire ni démonstratif : tout se joue dans la clarté du du discours, la souplesse du phrasé, la qualité du son. Mais notre répertoire est assez vaste, et il s’est élargi au fil du temps, nourri par une curiosité constante. Parce que nous avions tous étudié sur instruments modernes avant d nous consacrer au baroque, notre regard a toujours été ouvert sur de larges horizons. Aujourd’hui notre identité demeure essentiellement franco-italienne, mais nous nous sommes penchés sur les musiques française, anglaise… Ce qui nous anime, c’est avant tout de faire dialoguer les compositeurs connus et ceux qui sont à redécouvrir. »

Quand on est jeune, et on le sait, tout va très vite, et les époques sont brèves – ce sont des micro-époques, au gré desquelles ont est déjà à même, quatre ou cinq ans après un événement donné, de parler du temps jadis – et comme l’a dit l’une des invités fréquemment associée au Consort, Louise Pierrard, par cette phrase qui a fait sourire le public : « Quand nous étions jeunes… » Il y a juste six ans donc, en 2019, voici comment les musiciens du Consort « dans leur jeunesse » en somme, se présentaient :

Et tout a été en effet très rapide, au cours de cette première décennie du Consort, à en juger par une discographie foisonnante. Au gré des albums suivant chacun un concept thématique précis, c’est une démarche inespérée qui se dessine, et qui confirme en effet le passage de relais évoqué plus haut, avec la première génération baroqueuse. Car dans l’esprit de ces musiciens, il ne s’agit pas d’enchaîner les enregistrements selon un flux fortuit et ordinaire, mais bien de consacrer par là une démarche musicologique au sens plein du terme. À l’image des précurseurs du genre, les membres du Consort ne considèrent pas « le baroque » (cette appellation générique qui elle-même regroupe tant d’époques différentes et d’évolutions hétérogènes) comme un bloc déjà connu, mais bien au contraire, comme un vaste champ comportant encore des terres inconnues, des centaines de partitions manuscrites dormant dans les archives et qu’il leur importe de réveiller, de mettre en valeur et d’enregistrer justement, « en première mondiale », selon l’expression déjà consacrée, de ces enregistrements inédits et pour cette raison forcément émouvants, de ces œuvres et compositeurs inconnus ou à peine connus. La démarche musicologique tient donc ici de l’élargissement de la connaissance de ces pans entiers des genres instrumentaux baroques, tout comme le firent en leur temps William Christie, Trevor Pinnock ou Gardiner – dans leurs meilleures années, avant la surenchère dans laquelle hélas certains d’entre eux se sont égarés depuis (mais ça c’est une autre histoire que je m’en voudrais de détailler ici, au moment où nous parlons d’heureuse continuité). Dès le départ donc, avec ce premier album Opus 1 de 2019, il s’agit pour eux de mettre en regard les sonates en trio de Corelli, et celles encore inconnues d’un certain Dandrieu (1682-1738) dont on entend pour la première fois la manière à la fois suave et galante, portée avec enthousiasme par ces défricheurs à leur tour. Ils enchaînent en 2021 avec Specchio Veneziano, mettant en regard (et en miroir) Vivaldi et le beaucoup moins connu Giovanni Batista Reali toujours autour des sonates en trio, illustrant une diversité des approches vénitiennes du genre. Et puis en 2023 (toujours chez Alpha Classics), c’est au tour d’une sorte de panorama des aspects connus et largement moins connus du baroque instrumental anglais, avec Purcell mais aussi Matteis ainsi qu’une mystérieuse Mrs. Philarmonica, tirée des limbes du passé à la faveur d’une découverte providentielle.

Mais n’allez pas croire que les réalisations du Consort se résument à trois albums déjà étonnants et à la démarche heuristique avouée, car ceux-là sont les trois albums de l’ensemble en tant que tel, or Le Consort, c’est aussi une formation qui accueille depuis le départ, des participations extérieures, notamment de la part de chanteurs lyriques qui, par leur technique et par leur sensibilité, sont à même de mettre en valeur l’infinie inventivité vocale du baroque, des éclats opératiques aux illustrations de la cantate ou d’un chant poétique voire métaphysique (je pense à Purcell). Dans ce sillage, ce furent tour à tour les albums Venez chère Ombre avec Eva Zaïcik en 2018 (Lefebvre, Pignolet de Montéclair, Courbois, Clérambault) ; Teatro Sant’Angelo avec Adèle Charvet en 2023 (Vivaldi, Chelleri, Ristori) sur lequel je reviendrai plus loin ; tout récemment, Begin the Song – A Purcell Academy avec Paul-Antoine Bénos-Djian (Harmonia mundi, 2025). Et dans chaque cas, l’engagement est le même, et la recherche musicologique aussi, qui innerve des éclairages particuliers du répertoire : le chant baroque français des XVIIe et XVIIIe siècles ; les productions opératiques dans le sillage de l’aventure bigarrée du Teatro Sant’Angelo à Venise ; l’étendue du modèle Purcell.

Raisonnablement vous pensiez que via les enregistrements et les concerts, la moisson de la décennie s’arrêterait là, eh bien non, car on a bien affaire à des hyperactifs et dont l’activisme même n’a jamais négligé l’exigence fondamentale. Les membres du Consort ont aussi développé au cours de cette décennie enchantée des carrières individuelles tout aussi remarquables et où se manifeste de manière tout aussi prononcée ce goût, cette maque caractéristique de la découverte et de la transmission : il s’agit toujours dans leur optique, d’élargir le champ du répertoire et pour le redire, d’en montrer la densité encore insoupçonnée. Individuellement aussi bien que collectivement, ces jeunes musiciens sont dont des défricheurs à l’instar de leurs glorieux aînés, et leur trace est déjà celle-là, au-delà même de leurs talents simplement inouïs. Le Consort en déclinaisons individuelles, c’est donc encore ce tourbillon intelligent, qui les amène d’ailleurs à croiser et conjoindre leurs élans – rarement des collaborations auront été aussi évidentes, aussi signifiantes d’un expérience générationnelle, pour ne pas dire d’une famille de musiciens qui, dès l’origine, est déterminée à faire de la musique ensemble. En ce sens des carrières individuelles et des duos (ou même trios, on le verra), Le Consort est aussi une galaxie qui s’est rattachée à d’autres planètes, d’autres camarades, Thomas Dunford, Fiona Mato, Louise Pierrard déjà citée, Lucile Boulanger et d’autres encore. C’est pourquoi, retracer ces collaborations et ces autres albums enchantés, c’est aussi parler du Consort, comme de cette galaxie étendue, de ces aventures musicales baroques d’une génération admirable en tout point. Il faut donc citer ici, dans le sillage de ce noyau du Consort, vers ces collaborations si ferventes, les albums The Mad Lover (Harmonia mundi) de Théotime Langlois de Swarte et Thomas Dunford en 2020 (j’en ai dit tout le bien que j’en pensais dans cette recension) ; Les frères Francœur de Théotime Langlois de Swarte et Justin Taylor en 2022 ; trois membres du Consort (Théotime Langlois de Swarte, Hanna Salzenstein, Justin Taylor) participant en 2022 dès lors en tant qu’invités au remarquable album Bach-Abel Society de l’ensemble Les Ombres de Margaux Blanchard et Sylvain Sartre (le frère de Théotime Langlois de Swarte) ; loin du baroque, et démontrant qu’ils sont tout aussi excellents dans le répertoire romantique (sachant en différencier évidemment et très soigneusement l’approche, au contraire de certains de leurs aînés plus imprudents dans ce champ), Théotime Langlois de Swarte et Hanna Salzenstein formant avec Fiona Mato le Trio Dichter, pour un album de 2023 nous invitant dans le salon de musique de Robert et Clara Schumann, An Invitation at the Schumanns’ (j’en avais également commis une recension à l’occasion d’un concert mémorable donné à la Cité de la Musique en 2023, histoire d’argumenter mon enthousiasme et mon admiration).

Mais les carrières individuelles des quatre musiciens du Consort, en dehors même des expériences de collaborations, sont donc aussi prodigieuses, et se font souvent non loin de la formation en tant que telle. Mais je dois citer avant tout les exceptions, des albums de Théotime Langlois de Swarte – de 2021 enregistré avec William Christie et intitulé Générations, autour des sonates pour vilon et clavecin de Sénaillé et Leclair ; 2022 enregistré avec Les Ombres – Margaux Blanchard, Sylvain Sartre (Leclair, Vivaldi, Locatelli). Et des albums individuels de Justin Taylor : La famille Forqueray en 2018 ; Continuum Scarlatti Ligeti en 2018 ; La famille Rameau en 2021 ; Bach et l’Italie en 2023 ; Conversation – Gaspard Le Roux, Suites pour deux clavecins, avec William Christie, Harmonia mundi 2023 ; Chopin intime en 2025.

Mais revenons au Consort en tant que tel : les musiciens réalisent par ailleurs dans ces années-là et encore tout récemment, des albums solos, accompagnés par la formation, manière encore de lier leurs propres réalisations à leur creuset originel, et manière sans doute de mieux encore, inscrire leur propre démarche dans la cohérence de la démarche initiale de l’ensemble. Ce sera particulièrement le cas pour les deux albums Vivaldi de Théotime Langlois de Swarte, Concerti per une vita (Harmonia mundi, 2024) et Le Quattro Stagioni, Concerti armonici e inventivi (Harmonia mundi, 2025) – voir mes recensions en liens ; et pour l’album étonnant et merveilleux d’Hanna Salzenstein en 2025, Concerti per violoncello (voir ma recension). Quant au tout premier album solo de Sophie de Bardonnèche en 2024, Destinées, il est enregistré avec Justin Taylor et Lucile Boulanger – apportant rien moins qu’un élargissement considérable de la connaissance du répertoire des compositrices françaises au XVIIIe siècle (ma recension ici).

Un phénomène nommé Adèle Charvet

Lors du concert du 16 octobre de Gaveau, les deux chanteurs qui ont accompagné Le Consort au cours de ses aventures ces dernières années étaient présents et ont enchanté le public, des facettes de leur talent : Eva Zaïcik par l’aspect chatoyant de sa voix de mezzo, dans des airs de Haendel, Purcell et Louis-Antoine Lefebvre ; Paul-Antoine Bénos Djian avec l’étonnante pureté de sa voix de contre-ténor, dans des airs de Purcell et Monteverdi ; Adèle Charvet et sa puissance vocale toute particulière, dans Vivaldi. Alors certes, chacun reprenait là des extraits de ces albums précités. Certes, on savait cette puissance d’Adèle Charvet quand elle avait été mise au service de Vivaldi dans l’album Teatro Sant’Angelo en 2023 (dans ma recension, j’avais déjà suffisamment souligné les raisons de mon enthousiasme en découvrant cet album exceptionnel). Et même si je suis conscient qu’il est particulièrement cuistre de s’auto-citer, surtout quand on indique déjà l’article en question en lien… je n’ai pour ma part aucune vergogne à le faire, ne serait-ce que pour expliquer l’enthousiasme extrême du public ce soir-là quand, en deuxième partie du concert, revenu de l’entracte, il fut confronté à ce qui n’est pas seulement des moments de bravoure, mais une sorte de démonstration musicale en quoi je tiens quasiment une révolution de l’approche de la voix vivaldienne, après l’ère Bartoli. Pour expliquer donc cet enthousiasme du public (rappels multiples à l’appui), je m’en remets par conséquent à ce que j’écrivais en 2023 à propos de ce qui est donné dans cet album Teatro Sant’Angelo :

« Je ne peux m’empêcher de faire intervenir le souvenir, voilà déjà quelques années de cela, du fameux Album Vivaldi de Cecilia Bartoli. J’avais fait partie de ceux qui n’y trouvaient pas tout à fait leur compte, autant le dire carrément. Le nervosisme des roucoulements de Cecilia Bartoli me fatiguait au bout de quelques minutes (mais alors vraiment, au point de devoir recourir au paracétamol). Comment expliquer qu’ici au contraire, dans des airs du même répertoire, tout est plaisir, luxe, calme et volupté, et justement sans cette touche d’énervement vocal de la diva italienne ?

Je crois avoir trouvé le terme, après m’être repassé 5 fois tout l’album reçu ce matin. Et ce terme, c’est le « velouté » de cette voix, chose très rare dans ce répertoire. Tout est directement en place dans chaque air, mais tout respire, s’articule, se développe « naturellement ». Tout monte vers des cimes, descend en suggérant des abysses de l’âme, en tout cas une mélancolie avouée.

Et c’est cette sensation de naturel dans ces trajets-là que je nomme velouté. Je devrais plutôt dire « velouré », en risquant le néologisme. Il y a du velours dans « Astri aversi » de Chelleri, dans « Il mio crudele amor » de Gasparini ou dans « Quel pianto che vedi » de Ristori : tout ce qui est abordé par Adèle Charvet ici a la régularité de douceur mais aussi les ondoiements et la subtilité du velours. Alain (le philosophe) a cette phrase souvent citée : « Comme la fraise a goût de fraise, ainsi la vie a goût de bonheur. » Par conséquent, même le Vivaldi que j’entendais voilà des années donc, chanté au bord de la crise de nerfs par la Bartoli (il paraît qu’il faut dire « Chechilia » : décidément, je ne suis pas fait pour ça), tout donc de Vivaldi en cet album a goût de ce clair-obscur dont il était le maître. Entendre Adèle Charvet ici, c’est entrer dans le coin d’un tableau de Canaletto, juste dans un coin ombré du tableau, en approche de la pleine lumière, en contemplation des miroitements de la clarté du ciel dans l’eau. Quel bonheur, vraiment quel bonheur de tous les sens et de tout l’être, que celui qui est donné par cette voix.  C’est un peu comme si la plénitude vous invitait, désarmée et accueillante, à un bal à peine masqué. Tout ceci n’est pas envisageable à la seule faveur de la maîtrise technique, et on est là dans une quintessence. « Ah non so, se quel ch’io sento » par Adèle Charvet avec en fond, le clavecin suggéré et diaphane de Justin Taylor… comment dire ? Ça n’a pas de prix, ça a goût de bonheur, voilà tout. » Et avec Le Consort ce soir-là en accompagnement de ces deux airs respectivement de sérénade et d’opéra de Vivaldi, le bonheur était complet. En voyant la chanteuse réellement comédienne dans l’extrait de La fida ninfa, habiter l’émoi, « Alma oppressa da sorte crudele », incarner l’intranquillité du tourment, on savait qu’on vivait un très grand moment. Le Consort y était magnifié, de nous avoir ravi pour un soir du souvenir de leur essor, par la promesse de toutes les constances à venir. Longue vie aux musiciens inspirés, qui cheminent – et nous avec eux – dans cette si belle aventure qu’ils ont insufflée voilà dix ans de cela, et pour longtemps encore.