Wilhelm Kempff © Getty – Photo by Jeremy Fletcher/Redferns

La version de la Fugue de la Hammerklavier de Beethoven par Wilhelm Kempff reste pour moi inégalée et je voudrais ici expliquer pourquoi.

Il faut dire qu’elle se doit d’être un aboutissement certes gigantesque dans ses proportions, aboutissement d’ailleurs préparé par Beethoven lui même dans l’ « Introduzione » faite du Largo suivi d’un court Allegro qui sont une quasi improvisation comme si Beethoven cherchait encore ce qui se serait avéré impossible et inhumain après l’immense troisième mouvement de cette sonate, cet Adagio sostenuto (Appassionato e con molto sentimento) qui dure plus de 20 minutes.

J’ai moi même plusieurs fois joué en concert cet Everest du piano et je me souviens de la principale sensation physique au sortir de l’Adagio si dense et totalement épuisant d’émotion:

Comment pourrai-je continuer? C’est impossible.

Eh bien c’est là que je me suis rendu compte que cette fugue est un « JEU », non pas au sens d’une superficielle ou inutile plaisanterie mais d’un Jeu comme il y en eut entre les divinités de l’Olympe, un JEU redoutable entre les Elements qui nous dépassent, mais toujours un « Jeu » avec même de l’humour (souvent présent chez Beethoven) et beaucoup d’’ironie sarcastique. Presque une moquerie surhumaine.

Ici dans cette fugue, plus question de passion, ni d’émotion, ni d’humanité, ni de sentiments. C’est trop tard! Il faut jouer et « c’est tout ».Mais ne pas non plus vouloir faire une fugue « fulgurante » ou quelque chose d’inutilement grandiose.

Elle est un miracle spirituel d’un autre monde, où seuls importent les plans sonores, la clarté exemplaire de chaque voix, et tout « jeté » , réalisé d’une manière indiscutable et implacable.

D’ailleurs regardez le thème: Une fois le trille posé, ce sont deux appels courts suivis d’une réponse longue, explicative et définitive.

Un sphinx de la musique. Beethoven y exploite toutes les possibilités de l’instrument, certes mais toujours et seulement dans la vérité de ce qui est et « doit être ». Es muß sein !

Kempff est le seul qui dans un pianisme somptueux nous fait découvrir ce « JEU » surhumain, qui d’ailleurs parfois dans cette fugue frise l’atonalité et l’inouï.

Il disait lui même dans un interview célèbre: Cette fugue devrait être « lue » plutôt que jouée! Tout est là.

Donc pas question de performance « sportive » comme on en entend tellement aujourd’hui. Dans la partition on découvre très peu de ff, surtout et avant tout des sfz et beaucoup de passages p.